Je l'ai connu dans la cour de l'immeuble où nous avions fondé depuis 6 ans le seul studio de post-production vidéo professionnel en France dédié à la création - ce fut une aventure extraordinaire où nous avons tout donné, et nous avons beaucoup reçu.
J'étais dans le studio, je ravageais les étagères où s'accumulaient les oeuvres de tant d'artistes célèbres ou inconnus qui tous avaient couché sur la bande magnétique à travers nos machines leurs rêves et leurs émotions, leurs peurs, leur désespoir, leur vie...

Je me mordais les doigts jusqu'au sang, je hurlais son nom, je croyais ne jamais la revoir. Mais elle revint, un spectre boitillant péniblement dans la nuit, humiliée par des hommes cruels. Je la serrai dans mes bras et elle s'évanouit. Elle fit de moi un être de boue, puis elle partit.

Je l'ai connu dans un hélicoptère au-dessus des canyons prodigieux de Born Dead Baby dans le Nord-Ouest de l'Australie ;
j'avais une caméra dans chaque main, elle était dans la tente, qu'elle n'eut jamais le temps de replier.

Je l'ai connue dans un hôtel en Belgique. Elle était accrochée à une fenêtre et menaçait de sauter. C'était insupportable et il n'y avait même pas Canal+ à la télévision.

(Dominik Barbier : extrait de "ROMAN")